Back

Ce que c'est qu'apprendre une langue et ce qui facilite son apprentissage

Ce que c'est qu'apprendre une langue et ce qui facilite son apprentissage

Au départ, une mo­tivation 

Les chercheurs tendent aujourd’hui à être d’accord qu’apprendre une langue – que ce soit la langue maternelle ou une langue étrangère – c’est une dé­marche active et motivée de la part de l’apprenant.

A l’origine de cette démarche, il y a toujours un besoin ou une motivation : le désir d’exister dans l’interaction, d’être reconnu par l’autre, le souhait de comprendre les messages qu’on nous adresse, l’envie de nous exprimer nous-mêmes, etc. Tout ce que l’on fait dans une classe peut être utile, si cette motivation existe.

C’est pourquoi il est toujours essentiel de s’assurer que les activités que l’on propose ont un aspect motivant pour les élèves, qu’elles correspondent à un besoin, qu’elles sont génératrices de plaisir.

Découvrir comment la langue fonc­tionne

Le processus d’apprentissage suit une logique interne qu’on ne peut in­fluencer de l’extérieur que de ma­nière limitée. L’apprenant, plutôt que d’imiter un modèle, s’approprie le système selon lequel la langue fonctionne.

Il ne se contente donc pas d’emmagasiner ce qu’il entend, mais il utilise les apports exté­rieurs pour formuler des hypothèses personnelles concernant la structure de la langue. Ces hypothèses, il les vérifie ensuite, en produisant lui-même des énoncés correspondant à la structure sous-jacente qu’il croit avoir découverte.

Les réactions de l’entourage servent de test. Si le message est compris, il peut en conclure qu’il l’avait structuré convenablement. Si par contre on ne le comprend pas, cela est un indice que la structure du message ne cor­respondait pas à l’usage.

L’apprenant fera alors de nouvelles tentatives pour dégager la structure nécessaire pour formuler de façon compréhensible ce qu’il souhaite communiquer. De cette façon, il se construit petit à petit une sorte de mode d’emploi per­sonnel de la langue.

Il s’agit d’un système linguistique sommaire qui évolue continuellement : dans la me­sure où l’apprenant perçoit des dif­férences entre son système et la langue environnante, il le réadapte.

Car son but est évidemment la maî­trise de cette langue. Son propre système linguistique n’est qu’un moyen pour y parvenir.

C’est ainsi que les psycholinguistes qui ont observé le jeune enfant dans ses tâtonnements linguistiques décri­vent le processus d’apprentissage de la langue maternelle.

Les mêmes idées se trouvent chez les auteurs qui se sont penchés sur l’apprentissage d’une langue étran­gère.

En réalité, toute activité langagière du jeune enfant qui apprend sa langue maternelle comme celle de l’apprenant d’une langue étrangère poursuit en même temps deux objectifs différents : la communication et l’élaboration progressive de son système

linguis­tique personnel. C’est à dire que dans tout message qui lui est adressé, d’un côté il dégage le sens et de l’autre il analyse sa

struc­ture. Et quand il produit lui-même du langage, en même temps que d’exprimer un contenu, il vérifie une hypothèse de fonctionnement de la langue. Donc, il apprend les structures

linguis­tiques non par imitation, mais en communiquant, en utilisant la langue de façon tâtonnante.

Il nous semble important de souligner cela, car nous sommes loin du para­digme prédominant actuellement dans l’enseignement des langues, et beaucoup plus proches du tâtonnement expérimental de la pédagogie Freinet.

Prendre en compte une culture

Cependant, maîtriser une langue, ce n’est pas seulement disposer de moyens linguistiques, c’est aussi un savoir-être face aux gens qui parlent cette langue.

C’est comprendre et ac­cepter une culture différente, être ouvert à l’égard d’autrui, l’accepter avec ses différences. Et c’est être prêt à entrer en interaction avec lui.

La non-ouverture, la non-accep­tation de la différence entravent la compréhension linguistique.

Comment comprendre le sens des paroles si je ne comprends pas le sens de ce que vit la personne qui les prononce ? Mais pour pouvoir le comprendre, il faut que je m’engage dans cette rela­tion.

C’est là que les techniques de la correspondance et de l’échange ont leur importance. C’est grâce à de tels contacts directs que les élèves sont confrontés aux modes de vie et aux valeurs des étrangers dont ils apprennent la langue et qu’ils peu­vent vivre la satisfaction d’une si­tuation de communication réelle.

Avant tout, commu­niquer…

Le plaisir naturel de communiquer est particulièrement développé chez les enfants. Tout enfant aime se racon­ter, parler de ce qu’il vit. Il s’agit donc non seulement de favori­ser toute sorte de communication, mais aussi d’aider les enfants à pou­voir communiquer avec leurs connais­sances encore très partielles.

Dans un processus naturel d’apprentissage d’une langue, l’apprenant établit des priorités. Dans un premier temps, il centre son attention sur ce qui permet ou em­pêche la communication. Pour le reste, il se débrouille avec des stratégies pragmatiques, des moyens d’expression plus ou moins rudimen­taires. Effectivement, il ne peut pas tout maîtriser à la fois.

Il semble logique qu’il s’attache en premier à ce qu’il comprend, le sens des mots et tournures inconnus. Découvrir les quelques règles fondamentales néces­saires pour structurer un message de façon compréhensible.

Si l’apprenant se rend compte que sa façon d’exprimer ce qu’il veut dire n’est pas comprise, il est en situation de recherche : il tâtonne jusqu’à ce qu’il trouve le moyen de se faire comprendre.

Par contre, la tentative de l’adulte de corriger les erreurs et de l’amener à se conformer aux normes se heurte à la résistance dans le cas où l’erreur n’empêche pas la communication : tous les enseignants de langue, fatigués de corriger cer­taines fautes typiques de leurs élèves, connaissent ce phénomène.

Ce­pendant, dans la didactique des langues vivantes, on n’a pas encore tiré la conclusion qui semble pour­tant évidente : au lieu d’imposer une progression, on ferait mieux d’accompagner l’apprenant, le secon­der quand il a besoin d’aide. On fa­ciliterait ainsi un apprentissage si­gnificatif.

L’apprenant poursuit son propre but qui est d’échanger avec l’autre. Si la forme n’empêche pas cet échange de se faire, il ne voit, dans l’immédiat, aucun intérêt à l’améliorer.

S’exprimer correcte­ment, c’est tout à fait secondaire par rapport à la nécessité de se faire comprendre.

… et vivre sa propre réalité

L’approche communicative prônée par les spécialistes depuis une vingtaine d’années, mais encore peu prati­quée dans le contexte scolaire, vise à susciter le désir de ce qu’on fait dans la classe. Tout ce que l’enfant est et ce qu’il aime peut et doit y trouver une place, en sorte qu’il s’investit avec toute sa per­sonnalité dans ce qu’il fait. Ainsi, les tâches qu’il exécute ont un sens pour lui. Il est amené à comprendre des messages qui le concernent. Il s’engage dans des interactions qui le conduisent à agir, à réagir, à négo­cier. Et il s’exprime en parlant de ce qui est important pour lui : il se présente à des correspondants ou, dans une situation inventée, à ses camarades de classe comme tel person­nage qu’il aura choisi d’être ; il dit ce qu’il aime et ce qu’il n’aime pas ; il invente une histoire ou un sketch en choisissant librement son sujet. Le maître est disponible comme personne-ressource, il apporte à cha­cun l’aide nécessaire : aide linguis­tique ou aide méthodologique (où, comment trouver ce dont on a besoin ?). Et comme l’enfant est dans une situation réelle, il enregistre de façon beaucoup plus efficace ce qui lui est apporté. Car l’apport corres­pond à un besoin de sa part.

Nous constatons que la correspondance et l’expression libre qui nous sont familières à l’ICEM, ainsi que toute forme d’apprentissage par le jeu et la simulation sont des pratiques qui permettent de façon tout à fait ap­propriée cette implication person­nelle de l’élève. D’ailleurs, dans le dossier “La communication dans la classe de langue” édité par le Conseil de l’Europe qui décrit de façon très détaillée comment conce­voir une approche communicative, nous trouvons un certain nombre de sugges­tions qui se rapprochent de pratiques que les instituteurs Freinet ont de­puis longtemps adoptées.

Et au lieu d’inculquer des règles abs­traites…

On imagine souvent l’apprentissage d’une langue impossible sans la maî­trise de règles grammaticales. Mais qu’est-ce que la grammaire ? Et qu’est-ce que maîtriser les règles grammaticales ?

Toute grammaire est une tentative de décrire comment fonctionne la langue. Cependant, il est impossible d’enfermer la réalité vivante d’une langue dans un système de règles fixes. Tout système grammatical est donc imparfait, aucun n’est en mesure de prendre en compte la réalité com­plexe des usages de la langue. Cela signifie qu’il est illusoire de pen­ser que pour maîtriser une langue, il suffit de maîtriser les règles de son système grammatical.

Par ailleurs, un système grammatical est une construction abstraite. La compréhension d’une telle construc­tion exige un niveau de maturité in­tellectuelle que même de nombreux élèves de collège n’ont pas encore atteint. Il ne peut donc en aucun cas être question de vouloir expliquer aux élèves du primaire des règles grammaticales ou de leur faire faire des exercices qui demandent l’application de ces règles abs­traites. Ce qui nous permet de construire des énoncés corrects, ce ne sont jamais les règles apprises. C’est une connaissance intuitive, im­plicite. Nous sentons ce qui est “juste” ou “faux”. C’est donc ce sens de la langue qu’il s’agit de dévelop­per. Le jeune enfant fait cela naturellement dans son usage tâton­nant de la langue. Il suffit de per­mettre aux apprenants d’une langue étrangère de suivre une démarche ana­logue. Si on les laisse libres, cha­cun le fera à sa façon. Certains joueront avec la langue, d’autres l’utiliseront surtout pour communi­quer, d’autres encore seront attirés par la possibilité de connaître une culture différente ou par l’attrait d’un nouveau outil d’expression. Pe­tit à petit, tous apprendront à sen­tir ce qui est conforme à la règle ou non.

La comparaison avec leur propre langue peut être un moyen utile pour repérer les structures différentes ; certains ressentiront peut-être le besoin de mettre en mots la règle sous-jacente, mais selon notre expé­rience, c’est une petite minorité. Il peut être utile d’ajouter des travaux d’observation et de manipulation de la langue. Cela facilite aux élèves la prise de conscience des structures linguistiques, et cela rassure tous ceux – enseignants ou parents – qui pensent que “faire de la grammaire” est indispensable. L’essentiel, c’est que les élèves se trouvent confrontés le plus possible à la langue, qu’ils l’utilisent, jouent avec elle, l’explorent, l’observent. Cela leur permettra d’acquérir avec le temps cette maîtrise intuitive qui est le secret de l’aisance dans la pratique d’une langue étrangère.

… faire acquérir des compétences de communication 

Il faut également souligner que réus­sir à communiquer, ce n’est pas seu­lement disposer de connaissances lin­guistiques.

C’est aussi développer un certain nombre d’autres compétences nécessaires dans des situations de communication. Ainsi, il est in­dispensable, face à un énoncé diffi­cile à comprendre, de savoir mobili­ser toutes ses ressources : utiliser son “bon sens”, ses connaissances du monde pour “deviner” le sens du mes­sage.

Dans une situation de dialogue, il faut savoir prendre la parole, être capable d’argumenter et de structurer son discours. Quand on manque de moyens linguistiques, il peut être utile de savoir remplacer un mot ou une tournure par un(e) autre, d’utiliser gestes, mimiques, onomatopées, de reformuler un message reçu pour vérifier sa compréhension.

Il faut également être sensibilisé à d’autres manières de penser, savoir accepter et respecter les diffé­rences, renoncer à des préjugés ou des stéréotypes. C’est la capacité de combiner ces différentes compétences qui assure une communication réelle­ment réussie.

Evidemment, tout cela exige aussi une certaine capacité à prendre des risques : le risque d’affronter l’inconnu, de se heurter à une attitude de refus, et aussi ce­lui de se tromper ou d’être mal com­pris.

Enseigner une langue, c’est tout cela

Dans ce qui précède, il apparaît qu’un enseignement qui omet de déve­lopper ces différentes capacités et compétences est incomplet.

Ce qui im­porte, ce n’est pas la quantité de connaissances, mais l’habileté d’utiliser au mieux le peu qu’on sait, en mobilisant toutes les autres ressources dont on dispose.

Ce n’est pas l’élève qui reproduit docilement ce que le maître présente qui sait faire cela, mais celui qui a appris à prendre des initiatives et à agir de façon autonome. Et ce n’est pas for­cément le maître qui a le plus de connaissances de la langue qui est le mieux placé pour faire apprendre celle-ci.

C’est peut-être plutôt ce­lui qui a l’habitude d’accompagner les élèves dans leur apprentissage, qui sait les inciter à se comporter de manière personnelle, dynamique et autonome et leur apporter l’aide in­dividualisée dont ils ont besoin.